La photographe Annie Leibovitz expose le premier volet d’une longue série avec « Archive Project #1 : The Early Years » au parc des ateliers d’Arles jusqu’au 24 septembre. Dénudées, posant ou prises sur le vif, les stars s’accumulent au sein d’un torrent d’images.
Le président Nixon au beau milieu du scandale de Watergate, Mick Jagger en peignoir tel un champion de boxe avant un combat, Lennon lové contre Yoko Ono, Meryl Streep se tirant la peau du visage ou Keith Haring debout et à poil sur une table basse, ils sont presque tous là. Ces icônes appellent le souvenir mélancolique d’un autre temps. Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, comme disait l’autre. Tous ont été immortalisés à un moment clé de leurs vies, mythifiés, historiés et classés dans les archives de la photographe — portraitiste américaine, Annie Leibovitz. Les quelque 3000 photographies présentées dans la Grande Halle des anciens ateliers SNCF d’Arles pour l’exposition « Archive Project #1 : The Early Years » sont un trésor à portée de main.
REPLAY
Au printemps 1970, Annie Leibovitz est encore étudiante et seulement âgée de 21 ans. Aidée d’un ami, elle rencontre le directeur artistique du célèbre magazine Rolling Stone et lui présente quelques photographies d’une manifestation pacifiste. Les images sont publiées par le magazine et amorcent sa carrière. L’exposition développe, en partie, les travaux réalisés par Annie Leibovitz dans le cadre de ses commandes pour Rolling Stone jusqu’à ses débuts dans Vanity Fair. C’est d’abord le choc face à une mise en scène peu conventionnelle et à mille lieues des manies de Leibovitz. Les images s’accumulent et sont punaisées telles de vulgaires photos de familles. Le foutoir apparent et superficiel, la qualité aléatoire de certaines images et le noir et blanc des débuts, réussissent pourtant un pari : celui de produire une intimité entre les images et le spectateur. On suit le parcours photographique d’année en année avec boulimie, comme s’il s’agissait de remonter le film d’une mémoire incomplète. Outre la scénographie, chaque image présente son lot de magie en créant une rencontre exclusive entre le personnage photographié et nous. Annie Leibovitz permet à chacun de s’approprier ses images et leurs histoires. La photographe disparait pour mieux laisser exister son portrait.
On avait presque oublié, avec ses photos habituellement bourrées d’accessoires, de robes dégoulinantes et de poses publicitaires, qu’avant de cacher ses portraits derrière une tonne de maquillage scénique, Annie Leibovitz avait livré des images moins travaillées, plus pures et finalement, plus vives. Celle qui aujourd’hui ne se déplace pas à une prise de vue sans son armée d’assistants (éclairagistes, maquilleurs, accessoiristes, etc.) a oeuvré avec un 35 mm pendant près de 10 ans.
LE CUL DE SCHWARZENEGGER
“Photographier les gens, c’est les violer, en les voyant comme ils ne se voient jamais eux-mêmes […][1]”
« Archive Project #1 : The Early Years » pourrait être un pont entre son travail très intime révélé au musée de Brooklyn en 2006 et celui d’aujourd’hui. Intitulée « Annie Leibovitz, a photographer’s life, 1990-2005 », l’exposition de Brooklyn montrait son premier enfant obtenu à 51 ans ou encore sa relation avec Susan Sontag, décédée en 2004. Le contraste entre sa vie privée et ses images professionnelles en avait déjà dérouté plus d’un. Annie Leibovitz y dévoilait ses propres coulisses ou des moments pris sur le vif tel que le recommandait un photographe qu’elle admire, Cartier-Bresson. Pourtant, montrer son intimité est une exigence qu’elle ne s’est jamais réservée qu’à elle-même.
L’exposition arlésienne présente suffisamment de photographies pour soulever la tendance d’Annie Leibovitz à dénuder ses modèles. La plus célèbre d’entre elles reste bien sûr, la photographie de John Lennon nu, enlaçant en position fœtale Yoko Ono tout habillée de noir. Prise le 8 décembre 1980, John Lennon se fera assassiner quelques heures plus tard. En 1974, la photographe couvrait une situation humiliante : le scandale du Watergate, aboutissant à la démission du président des États-Unis, Richard Nixon. Et que dire du corps exceptionnel de celui qui sera un jour le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger. Il est là, de dos et entièrement fait de muscles. Puis vient Keith Haring qui est quant à lui, recouvert de ses propres dessins. Il se dresse comme s’il reproduisait la danse primitive d’un de ses personnages. Clôturant l’exposition arlésienne, cette image en couleur est plus construite. Elle se présente comme un point de pivot envers un second volet s’annonçant déjà, plus artificiel.
©ArtSphalte
Annie Leibovitz Archive Project #1: The Early Years (Les premières années), Fondation Luma, Arles, exposition du 27 mai au 24 septembre 2017
[1] Susan Sontag, Sur la photographie, traduit de l’anglais par Philippe Blanchard, Paris, Éditions Christian Bourgois, 1993, p. 31.