Car crash studies. Les belles mortelles de Raffael Waldner
Si les images du photographe Suisse Raffael Waldner oscillent entre genres documentaire et artistique, sa série dénommée Car crash studies questionne la dimension mythique qui hante l’automobile de luxe et ce, qu’importe son aspect. L’artiste ne s’attarde pas sur l’histoire des entreprises et ne tente pas de retranscrire la chronologie des accidents. Il propose plutôt une typologie de vestiges et dresse une collection impressionnante des traces causées par le choc.
Memento Mori
Clair-obscur, flash et voitures croppées, sont des balises qui autorisent un rendu photographique énigmatique à la hauteur de ce que représente ces marques de voitures luxueuses et sportives dans l’imagerie populaire. Toutefois, elles soulignent également les lignes d’une carrosserie pliée telle une fragile boule de papier. Elles retranscrivent avec force la sensation de compression et immortalisent à jamais griffures de peinture, pneus éclatés et pare-brise pulvérisés. Cette mise en scène permet alors une double lecture. En effet, la voiture de luxe incarne bien plus que la seule liberté. Elle désigne la sécurité apparemment absolue de l’argent, avec toutes les idées de confort ou de contrôle qui émanent d’elle. Pourtant, qu’il s’agisse d’une Porsche, d’une Lamborghini, d’une Aston Martin ou même d’une Jaguar, aucune n’a pu échapper à son destin, lequel fût expédié dans une casse après un crash inévitable. Ainsi, la voiture accidentée pointe la dimension illusoire et transitoire du pouvoir et il est possible de voir les photographies de Raffael Waldner comme des memento mori. Des vanités d’autant plus visibles car bien que l’artiste ne montre aucun corps (cf. : Arnold Odermatt), sa lumière artificielle crée un arc de tension continue et contient la froideur métallique de la mort. Même ses images les plus abstraites suintent la réalité matérielle de la perte arbitraire.
Symboles sacrés
Pourtant, malgré la répétition d’image en image de la mort à travers ces voitures broyées, malgré l’excellente mise en scène du photographe qui parvient à retranscrire la violence de l’accident, le mythe demeure. Or c’est justement ce qui intéresse Raffael Waldner. Le crash n’est pas seulement esthétique, mais est également un sujet d’étude étendu sur une période de 9 ans. Pour se faire, le photographe s’est rendu de nuit dans de nombreuses casses pour shooter les voitures en multipliant les points de vue, avant ou arrière de carrosseries, portières, habitacles et même moteurs décharnés. L’artiste a aussi reproduit des accidents dans des conditions similaires aux crashs tests réalisés par les entreprises automobiles et a filmé une Porsche 944 s’écrasant délibérément contre un mur. Et bien que la voiture puisse être réduite à l’immobilité, voire à un tas de ferrailles inutiles, il en ressort toujours un sentiment de sacré dont l’accident fût le point d’orgue ou à contrario la profanation la plus ultime de l’objet. Maik Schlüter, commissaire d’exposition et auteur, ne l’explique pas. Mais il rappelle à juste titre que peu de personnes arrivent à imaginer que la mort violente puisse être provoquée par une chose aussi banale que la voiture et encore moins lors d’une situation commune. Il est plus naturel de craindre l’attentat terroriste, le crash d’avion ou l’attaque de requins que la voiture, alors qu’elle est responsable d’un nombre bien plus important de morts dans le monde. En somme, elle reste une machine intouchable.
Cette phénoménologie des perceptions de la voiture que tente de dérouler Raffael Waldner, se poursuit dans son travail plus récent composé de diptyques réalisés lors d’un salon de l’automobile. Ceux-ci associent portraits d’hôtesses et voitures. En s’inscrivant à la suite de Car Crash Studies, le fait de combiner portrait et voiture pourrait peut-être apporter un semblant de réponse en expliquant pourquoi l’idée même de voiture reste inébranlable : la voiture comme une prolongation du corps ?
Raffael Waldner, Car crash studies. 2001-2010, edit by Christophe Doswald, 2010.
Images ci dessus : Raffael Waldner, Salon, 2017, (extrait)
raffaelwaldner.com