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Hyperweb of the present

Parmi les artistes présentés pour « Mondes Flottants » à l’occasion de la 14e édition de la Biennale de Lyon, Tomás Saraceno élabore une traduction visuelle et poétique des sciences, en employant des moyens simples et à l’aune de la nature.

Notre œil met du temps à s’habituer à l’obscurité d’un couloir dérobé derrière un épais rideau. Il faut se déplacer lentement et longer le mur tout en espérant ne pas heurter un quelconque obstacle. Située au centre de deux projecteurs, l’installation apparaît enfin. Elle se révèle d’abord comme une sorte de grande dentelle fine, blanche et aléatoire, avec une complexité presque architecturale au sein d’une structure de fer. En s’approchant de plus près, la pièce livre un raffinement sans pareil. Il s’agit d’une composition de toiles réalisées par différentes espèces d’araignées qui se sont relié ce chantier tour à tour. L’une d’entre elles est par ailleurs encore présente. La partie centrale ressemble à un réseau, convoquant l’imagerie des connexions cérébrales, avec des variétés de tissages qui se déploient et se recentrent. La lumière vient souligner la fragilité de chaque fil alors même que la toile, perçue dans son ensemble, dégage une force tranquille. L’ouvrage invite à une admiration hypnotique face à autant de subtilité collective, face à une confection du règne animal. Les araignées ont construit leur propre monde abscons et la structure de Tomás Saraceno n’est qu’une sollicitation à nous pencher sur un phénomène naturel. Effectivement, l’installation lumineuse de Tomás Saraceno ne sert qu’à représenter l’ici et maintenant dans lequel se déroule l’événement. Tout en traduisant le graphique du physicien, mathématicien et professeur allemand, Hermann Minkowski (1864-1909), la toile serait donc l’hypersurface du présent, là où se réunissent le passé (premier projecteur lumineux) et le futur (second projecteur lumineux), et abolissant ainsi les distinctions entre espace et temps.

Tomas Saraceno, réseau

Artiste, chercheur et architecte, Tomás Saraceno reste en adéquation avec sa pratique artistique qui accorde une valeur particulière aux sciences naturelles, à l’astrophysique et à l’ingénierie. Sans réellement différencier les disciplines, il demeure célèbre pour avoir repensé le mode de vie citadin en imaginant des villes futuristes, suspendues dans les airs et respectueuses de l’environnement. Cloud Cities témoignait déjà de son affection singulière pour les araignées, avec des sphères qui lui inspiraient des gouttelettes d’eaux glissantes le long des fils d’une toile. Ses immenses réseaux se basent entre autres, sur un large panel de formes indéfinies allant du cosmos aux galaxies, en passant par les bactéries ou la communication neuronale. Ces références ont pour but de reconnecter les êtres humains à des phénomènes plus naturels en illustrant la façon dont finalement, ils vivent eux aussi en synergie avec leur environnement.

Hyperweb of the present [« l’hypertoile du présent »] est un titre qui peut évoquer la notion de réseau servant de dénominateurs communs à la sociopolitique, l’économie (mondialisation, etc.), ou encore à ce monde utopique que représente l’Internet dans notre univers contemporain. Pourtant, ces réseaux sont insensés et incapables de définir leurs propres connexions, alors même que les araignées de Tomás Saraceno proposent une alternative bien plus humble et élémentaire. Chacune d’elles a exploré et investi l’espace mis à leur disposition, l’a transformé et a également agi sur la toile pour faire de celle-ci une œuvre variable. Par ailleurs, des micros enregistrent et permettent de diffuser le son produit par les vibrations des fils réagissant eux-mêmes, à des phénomènes intérieurs ou extérieurs à la toile. Autrement dit, malgré leurs tailles microscopiques, les araignées ont créé un écosystème en développant des liaisons interdépendantes capables de servir d’habitat et d’échanger des informations grâce aux vibrations des fils. Loin d’être une organisation sclérosée et chimérique, la toile d’araignée est l’aboutissement d’une création autosuffisante et hétérarchique, et renvoie à l’insignifiance des réseaux abstraits conçus par l’homme.

Se déconnecter des toiles artificielles pour mieux sentir nos propres connexions à l’environnement semble être la solution la plus sensée et la plus conforme à notre essence fondamentalement animale. Pour autant, Tomás Saraceno ne place pas son œuvre sous un mode moralisateur afin d’inviter à plus de sobriété. Il propose plutôt de s’inspirer, comme tout bon scientifique, du système parfait et logique de la nature en pointant le nec plus ultra de son raffinement.

©ArtSphalte